Peut-on produire des témoignages anonymes devant le conseil de prud'hommes?
Il est courant que des salariés refusent de témoigner de manière officielle sur une situation qu'ils ont observé sur leur lieu de travail.
Malgré la protection accordée par le Code du travail en faveur de ces salariés, les craintes de mesures de rétorsion de la part de l'employeur prennent souvent le dessus sur une volonté de faire éclater la vérité.
Traditionnellement, les juridictions refusaient la production de témoignages anonymes.
Cette position dogmatique a toutefois récemment évolué.
Un témoignage anonyme peut être produit sous condition
Dans un cas d'espèce récent, un employeur produisait un témoignage anonyme pour justifier la mise à pied d’un salarié.
La Cour aurait pu écarter ce témoignage sans même l’examiner.
Après tout il s’agit de témoignages anonymes dont on ne connait pas la provenance ou encore les conditions d’obtention.
Ce n’est pas la position prise dans un arrêt du 19 avril 2023, RG n° 21-20.308 :
« Il résulte de ce texte garantissant le droit à un procès équitable, que si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c'est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l'identité est néanmoins connue par l'employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d'autres éléments permettant d'en analyser la crédibilité et la pertinence. »
Le principe est que le témoignage est écarté… mais l’exception est très large puisque le juge pourra l’utiliser si d’autres éléments permettent d’y donner crédit.
En pratique, la production d'un témoignage non anonyme pourrait être complété par des témoignages anonymes allant dans le même sens.
Risques de dérive en cas de témoignage anonyme
Les risques de dérive suite à cet arrêt sont très importants.
Il n’existe aucune garantie d’authenticité concernant ces attestations anonymes produites au débat: l’employeur est censé en connaitre les auteurs (quid de leurs avocats?).
Le risque est tout simplement qu’un dossier de toute pièce soit monté contre un salarié sur la base de témoignages anonymes.
Il suffirait alors d’un élément, pourquoi pas des témoignages en bonne et due forme de salariés faisant état de rumeurs, pour que les témoignages anonymes suivant soient utilisables.
De même doit-on comprendre que l’inverse est possible, à savoir qu’un salarié puisse produire des témoignages anonymes pour renforcer un dossier, par exemple de harcèlement moral, un peu fébrile?
Les dossiers de pièce vont se remplir facilement!
Comment est-il possible de se défendre de tels témoignages?
C’est très délicat, au moins devant le conseil de prud’hommes.
En cas de doute sérieux sur l’authenticité des éléments produits le salarié garde la possibilité d’agir au pénal contre son employeur pour faux, usage de faux et escroquerie au jugement.
Il s’agit toutefois d’une protection très théorique, peu de salariés empruntant cette voie alors qu’un contentieux prud’homal est déjà très coûteux.
C’est aussi une porte ouverte pour alourdir un contentieux prud’homal dont l’intensité semble aller croissante.
Nous accompagnons régulièrement des salariés et des employeurs dans le cadre de contentieux devant le conseil de prud'hommes où la question des témoignages anonyme est devenue centrale.
Le cabinet se tient à votre disposition, un rendez-vous gratuit pouvant être pris sur l’agenda du cabinet.